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  • Photo du rédacteurP. Laurent

Du Bengale au Tibet

Dernière mise à jour : 8 mars 2023


Chers amis,

Nous voici déjà presque à la fin du temps pascal, et il est plus que temps de vous donner quelques nouvelles de la mission au Bengale. Depuis ma première lettre de Noël dernier, il s'est passé beaucoup de choses. Au début de l'année, nous avons vécu la rencontre annuelle du groupe de l'Inde. Nous nous sommes retrouvés, tous les cinq, dans la maison MEP de Bangalore.  

L'occasion d'échanger nos expériences de la mission, recevoir des conseils et nous encourager mutuellement. A mon retour, c'était la rentrée scolaire avec son lot de visages tout neufs mais aussi beaucoup de larmes pour les nouveaux petits pensionnaires de nos foyers. Quelques jours plus tard, j'ai assisté impuissant à l'agonie de Tommy, le petit chien que nous avions adopté. Cela m'a beaucoup affecté. D'après le vétérinaire et les locaux, il aurait été empoisonné par malveillance. Il semble bien qu'ici, le monstrueux côtoie toujours le merveilleux. Depuis Noël, seulement cinq mois ont passé, mais nous avons déjà traversé trois saisons : l’hiver (sheet kal), le printemps (bôshonto kal), et l’été (grishsmo kal). Puis viendront bientôt la mousson ou saison humide (borshô kal), l’automne (shôrot kal) et la saison sèche (hemonto kal). Ce défilement rapide des saisons reflète les changements intérieurs qui s'opèrent au gré des évènements, des découvertes et des apprentissages quotidiens qui jalonnent ma rencontre avec l'Inde. Elles sont surtout à l'image de tout ce qu’il faut traverser avec foi. Comme il est difficile, en quelques lignes, de vous partager, tout ce que je vis ici...


Chaque saison dure environ deux mois. C’est assez éprouvant pour l’organisme qui a à peine le temps de s’acclimater à chaque changement. On passe ainsi rapidement du froid humide de l’hiver qui transperce les os à la douceur du printemps, puis, trop rapidement, arrive la période brûlante de l’été. Celle-ci va bientôt laisser la place à la chaleur humide et pesante de la mousson. En ce moment, les températures dépassent parfois les 40 degrés. Mais la température ressentie, supérieure de six ou sept degrés à cause de l’humidité, fait exploser le thermomètre intérieur. Pour affronter ces changements, avec la sagesse bengalie et l’expérience des générations, on recommande fortement de manger moins de viande ou de poisson, mais plutôt du panir, une sorte de fromage, de boire souvent de l’eau salée et sucrée, additionnée parfois de jus de citron ou de mangue, ne pas sortir entre midi et 15h30, sinon avec un parapluie pour se protéger du soleil… Les ventilateurs sont également bien utiles pour se rafraîchir, au moins lorsqu’ils ne sont pas interrompus par les innombrables coupures de courant.


Avec l’été, c’est la saison de la chaleur sans répit. Des températures de 40°C qui paraissent 47, mais qui baissent heureusement à 27 ou 28°C pendant la nuit – soit 34 ou 35°C ressentis, presque la fraîcheur... Pour supporter la chaleur, j’ai adopté le costume penjabi bien plus adapté que les habits occidentaux. Il consiste en une kurta - comme son nom ne l’indique pas, c’est une longue et ample chemise - et le paijama, un large pantalon. Mais l’été est aussi appelé « le temps des mangues et des jackfruit » et c’est aussi celui de tous les fruits et légumes tropicaux. Il y a ceux que nous connaissons au moins de nom: la papaye, le lichee, la grenade, la goyave, le citron doux, et d'autres totalement inédits comme le palmyre ou le jacquier au parfum délicat qui peut peser jusqu'à vingt-cinq kilos... Il y a aussi les noix de cocos ou narkel. Lorsqu'elles sont vertes, on les appelle dhab, et on boit leur eau, très bonne pour la santé.


Ici en Inde, l'extrême générosité de la nature se manifeste partout. Nos voisins ont recueilli la saison dernière plus de neuf cent cinquante mangues sur un seul arbre... C’est sans compter toutes celles qu’ont mangées les langur, car ces grands singes à face noire en raffolent ! Pour notre part, armés d’un long bambou, nous en avons récolté en une seule matinée plus de trois cent cinquante sur les trois manguiers de la cour de l’école. Avec les mangues vertes on fait un délicieux chutney qui agrémente la fin du repas. Quant à celles qui sont mûres, on les mange à peine cueillies et c’est vraiment paradisiaque. A cette saison, on en mange trois ou quatre par jour !


La communauté, lieu de fête

Depuis l’hiver dernier, plusieurs évènements importants sont venus ponctuer la vie d’HSP, nous rappelant, selon la belle expression du regretté Jean Vanier, que « la communauté est le lieu du pardon et de la fête », et surtout qu'il faut mettre les pauvres au centre si l'on veut que la fête soit réussie. Nous avons d’abord célébré la nouvelle année le samedi 12 janvier en réunissant tous les enfants et le staff. Cela a été l’occasion d’échanger les vœux pour la nouvelle année et de participer à la joie des jeux et rencontres sportives organisées, non seulement pour les enfants, mais aussi pour tout le personnel! Le deuxième grand événement a été le nation’s Republic Day qui commémore l’entrée en vigueur de la constitution indienne le 26 janvier 1950. A cette occasion, on décore le socle du mât avec les portraits de Gandhi et de Netaji Subhas Chandra Bose. Ce dernier est un héros de l’indépendance controversé à cause de ses relations avec Hitler. Le nationalisme indien et les rapports tendus avec les anglais – ainsi qu’une grande ignorance de l’histoire européenne – expliquent son aura.

Au pied du mât, on peut lire une phrase en hindi, écrite avec des pétales de fleurs : « jay hind », ce qui peut se traduire par « longue vie à l’Inde ! ». Cet art traditionnel de la décoration, le rangoli – qui signifie en sanskrit « couleur » – est typiquement indien. Il est aussi réalisé avec du riz, du sable ou de la farine colorés. Après le lever du drapeau, rite très solennel, et des danses réalisées par les enfants, nous avons distribué les prix pour les lauréats du sport’s day qui avait eu lieu le samedi précédent. Enfin la date du 6 février est encore dans toutes les mémoires. Ce jour là, nous avons eu la joie d’organiser dans notre centre d'Ashaneer, à Howrah, la remise au père Laborde, par l’ambassadeur de France, de la croix d’officier de la Légion d’Honneur. Cette annonce, faite de manière assez impromptue par le consulat, a mobilisé tout le staff de la branche Howrah de HSP pour décorer, embellir le centre et accueillir les invités.


C’était également l’occasion de revenir sur quarante deux ans d’histoire grâce à des panneaux de photos réalisés par le old staff. Le plus ému de tous, alors qu’il venait commenter ce parcours à l’ambassadeur, fut sans doute le père Laborde: Ses débuts dans le slum de Pilkhana, le départ dans la paroisse de Howrah, la demande répétée du cardinal Picachy qui l'a incitée à fonder un foyer pour enfants handicapés... Comme le rappelle souvent le père, HSP, c'est l'oeuvre de l'Eglise. Cet événement a rassemblé une majorité d’enfants handicapés de nos centres, leurs mamans, le staff de HSP, les amis et quelques officiels.

Le P. Laborde au slum de Pilkhana, 1969

A l’issue de la célébration, le père Laborde a voulu récompenser lui-même une trentaine de personnes d’HSP, spécialement celles ayant travaillé depuis les débuts. Une façon de dire que cette Légion d'Honneur ne lui appartient pas en propre. Elle vient récompenser des centaines de personnes, souvent de condition très simple, parfois même handicapées, engagées dans l'ombre, dans l'humble effort quotidien de leur travail caché au service des plus pauvres. L'humble apprentissage de la langue Après cela, l’intensité du travail et le changement de saison ont eu raison de ma santé. Une grosse gastroentérite ma cloué au lit une semaine et j’ai perdu quelques kilos qui n’étaient pas superflus... Les premiers mois ont démarré en trombe, par nécessité plus que par choix. Ecartelé entre la nécéssité de me dédier à temps plein à l’apprentissage de la langue et de la culture et l’appel pressant de tout le staff à me mettre au service de HSP, j’ai eu du mal à discerner la manière concrète de servir la mission. Ce temps d’immersion intensive n’a pourtant pas été inutile. J'ai pu concrètement mesurer l’ampleur de la tâche et la pauvreté des moyens à disposition. HSP s'engage dans une période de changements décisifs. Les tensions à HSP sont fortes, et les tentations de fuir ou de se décourager sont nombreuses. J'essaye alors de me remettre humblement sur le chemin de la confiance pour vivre ce que disait Mère Teresa : « Dieu ne nous demande pas de réussir, mais d’être fidèles. » Cet épisode m'a donc invité à redonner une large place ces derniers mois à la formation, tout en maintenant une certaine présence à HSP et en occupant ma place pour les décisions importantes.


Nous avons notamment eu la joie d'organiser des pique-niques avec les enfants, grâce à la générosité de Giuliano, un ami suisse de HSP de longue date et membre de l'association des Amis de Calcutta. Le Nord Bengale

Pendant tout le mois d'avril, j'ai visité la branche HSP de Jalpaiguri, profitant là- bas d’une relative fraicheur. Les températures y sont inférieures de cinq ou six degrés à celles de Calcutta, ce qui n’est pas désagréable. Au programme: étude chaque matin et conversations avec les didi et dada pour améliorer ma pratique de la langue. J'ai passé une semaine dans chacun des quatre

centres qui accueillent des enfants handicapés : Bakuabari, Jordighi, Maria Basti, Mogradangi. J'ai pu prendre le temps de mieux connaître notre staff, et tout simplement vivre avec eux. Nous avons notamment eu la joie d'organiser des pique-niques avec les enfants, grâce à la générosité de Giuliano, un ami suisse de HSP de longue date et membre de l'association Les Amis de Calcutta.

Ce temps a été aussi pour moi l'occasion de fêter Pâques, et surtout de célébrer, à l'insistance des communautés de HSP, la messe quotidienne avec tout le staff et les enfants, hindous, musulmans ou chrétiens. Je leur ai promis que la prochaine fois que je reviendrai, je saurais dire la messe en bengali !


Un "pèlerinage bouddhiste"

Plus tôt, en février, j’ai eu la grâce de prendre un bon temps de repos lors d’un voyage dans le nord de l’Inde et profiter d’un confort bienvenu. Je suis parti avec un groupe d'une trentaine de personnes, composé de prêtres MEP et de passionnés de l’Inde pour faire un voyage sur les traces du Bouddha. Le voyage était organisé par Yann Vagneux, prêtre des Missions Etrangères à Bénarès, et animé par Denis Gira, et Thierry-Marie Courau.


Le voyage était organisé par Yann Vagneux, prêtre des Missions Etrangères à Bénarès, et animé par Denis Gira, et Thierry-Marie Courau. Partis de Varanasi pour terminer à

Katmandou, quatorze jours plus tard, nous commençons sur les rives du Gange, dans la ville sacrée de Bénarès. Sur cinq kilomètres s’étendent les fameux ghats, ces quatre vingt quatre escaliers qui permettent au pèlerins de descendre dans le fleuve pour le bain sacré. Cette année l’affluence est plus importante à cause de Kumbha Mela, un pèlerinage hindou organisé tous les trois ans. Nous croisons de nombreux naga baba, ces moines qui vivent nus, couverts de cendres, et qui ont installé leurs tentes sur les bords du fleuve. Nous vivons une belle rencontre avec des brahmanes népalais qui nous reçoivent pour célébrer leur office des lumières. Nous rencontrons aussi les communautés chrétiennes qui vivent sur les ghats, les Petites Sœurs de Jésus de Charles de Foucauld au Yeshu Ashramou les missionaries of charity de Mère Teresa.

Après deux jours à Bénarès, nous partons en bus pour un périple qui va nous emmener dans tous les lieux saints du bouddhisme. Après avoir brièvement considéré l’hindouisme qui en est le terreau, nous allons nous mêler, pèlerins improbables, aux innombrables bouddhistes venus de toutes l'Asie prier sur les lieux saints ou sacrés de Bouddha. Nous allons partir à la rencontre du mystère de cette personne dont le cardinal de Lubac disait qu’il était sans doute l’événement humain le plus important de l’histoire. Il est aussi fascinant de voir comme l'Inde a pu exercer à travers le Bouddhisme une influence sur toute l’Asie, et de constater que cette religion a quasiment disparu du pays qui l’a vu naître.


Après Sarnath, où l’on situe la rencontre du Bouddha avec ses premiers disciples, nous embarquons pour un long périple de sept heures en bus pour arriver dans la ville de l’Éveil, Bodhgaya. Nous visitons également la grotte où Bouddha a médité et pratiqué une ascèse exagérée jusqu’à frôler la mort. Une statue fait mémoire de cet évènement.

Nous traversons le Bihar, région très pauvre, où nous croisons, le temps d'un arrêt sur le bord de la route, une famille de bergers, belle dans sa simplicité. Nous arrivons à Rajgir où s’est tenu le premier concile bouddhiste. A Nalanda, magnifique site archéologique, nous

trouvons les vestiges d’une immense université bouddhiste qui a accueilli des étudiants de toute l’Asie pendant sept siècles. On y comptait pas moins de trois mille enseignants, dix mille étudiants et dix millions de manuscrits. On y enseignait la philosophie, la littérature brahmanique, la linguistique, la logique et la médecine. Cela place Nalanda loin devant les premières universités occidentales, nées plus de quatre cent ans après ! Après un nouveau long trajet de trois cent kilomètres et six heures de bus, nous arrivons à Kushinagar, lieu de la mort du Bouddha. Dans ce lieu, impressionnants de dignité et de recueillement, les pèlerins bouddhistes, en nombreuses processions, viennent déposer un linceul couleur safran sur la statue du Bouddha. Nous arrivons ensuite au Népal à Lumbini, lieu de la naissance de Bouddha, comme l’atteste le pilier d'Ashoka du IIIè siècle avant JC. On y trouve gravé : « Ici le Bouddha est né ». A Kapilavastu, huitième et dernier site de notre pèlerinage, lieu de l’enfance et de la jeunesse de Bouddha nous visitons des temples bouddhistes de tous pays : Sri- Lanka, Birmanie, Cambodge, Thaïlande... Nous terminons par Katmandu, ville fascinante, postée sur les contreforts des Himalayas. Les stupas sont ornés des yeux de Bouddha avec, en guise de nez, un "ek", c'est à dire le chiffre un, pour symboliser l'unité de toute vie.

Visite du supérieur des MEP

Le retour de Katmandou se fait en compagnie du père Gilles qui vient me rendre visite pendant trois jours. Après le traditionnel accueil fleuri, nous partons visiter deux lieux emblématiques de HSP. D'abord l'école spéciale de Brick Field où nous scolarisons les enfants des travailleurs d'une briquetterie. D'origine très pauvres, ces familles sont aussi contraintes d'habiter six mois loin de chez eux, pendant la saison sèche.

Nous partons également dans les méandres d'un bidonville de Howrah accompagné par le staff du programme d'aide à la maternité. Plus de cinq cent jeunes mamans sont ainsi suivies pendant leur grossesse, ainsi que leurs enfants jusqu'à trois ans après la naissance. Magnifiquement accueillis par ces familles, nous sommes émerveillés, car ce sont bien ceux qui possèdent le moins qui peuvent offrir le plus.





La fête de Holi

Le 21 mars, c'est la fête du Printemps, la fête des couleurs. C'est Holi, une fête avec beaucoup de joie – et parfois des débordements il faut bien le dire – pendant laquelle tout le monde se couvre de couleurs pour manifester le renouveau. Cela commence très doucement pour finir en bataille de pigments... mon confrère Yann, qui habite Varanasi, passe me visiter juste après ce feu d'artifice de couleurs.

La fin du mois de mars est consacrée à des corrections de mon mémoire de licence en vue d’une publication. Le laborieux travail de mes deux dernières années en France a porté sur l’un des ouvrages de Louis Laneau, un des trois fondateurs des MEP, resté à peu près inconnu jusqu’à aujourd’hui. Son ouvrage le plus spirituel, La divinisation des justes, a été pratiquement redécouvert et publié à la fin des années 1980 après deux siècles passés dans la poussière des archives. Un colloque aura lieu en septembre aux MEP. Ce missionnaire est aussi un intellectuel, un maître spirituel, un linguiste et un théologien qui a anticipé le renouveau théologique de Vatican II en proposant une pastorale de l'émerveillement. Il a sûrement beaucoup à nous apprendre.

Vers le Tibet... Après ce travail qui m'a replongé dans l'histoire de tous nos prédécesseurs, je suis parti quatre semaines pour visiter nos centres de Jalpaiguri. C'est tout naturellement que j’ai profité de ce séjour pour effectuer un pèlerinage sur les traces des MEP. A une heure de jeep au nord de Jalpaiguri se termine la plaine et commencent les contreforts des Himalayas. Une heure trente plus tard on atteint Kalimpong. Cent cinquante ans plus tôt dans cette région, les MEP ont ouvert des missions. Ils avaient reçu la charge d’évangéliser le Tibet en 1846. Les tentatives pour accéder au Tibet par la Chine ont été un échec.

Plus tard, on tente donc de passer par l’Inde. Krick et Bourry, deux missionnaires MEP réussissent à passer à l’est du Bouthan jusqu’au territoire interdit, avant de se faire assassiner. Mgr Desgodins, le père Hervagault et d'autres vont tenter de pénétrer par l'ouest du Bouthan, là où passe la route de Lhassa. C’est sur leurs traces que je suis allé, découvrant les deux paroisses qu'ils ont fondées: Pedong et Maria Busty. Du haut de ces villages perchés, on peut apercevoir les sommets du Bouthan, du Sikkhim, et du Tibet. La mémoire des MEP y est toujours très présente ce qui m'a vallu un chaleureux accueil.


A l’heure où j’écris, je suis accueilli dans une famille très simple du village chrétien de Raghabpur, situé au sud de Calcutta. J'y suis en immersion, à la manière des jésuites en études, pour pratiquer le bengali. Je me prépare également à la paroisse à célébrer bientôt ma première messe en bengali. Je vous donne rendez-vous dans ma prochaine lettre pour vous raconter tout cela. En vous souhaitant à tous une attente joyeuse et confiante de l'Esprit Saint, je vous redis mon amitié. Restons bien unis dans la prière. N'hésitez pas à m'envoyer de vos nouvelles.

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